Promising young woman (2020) est le premier long métrage américain de l’actrice et scénariste britannique Emerald Fennell. Nommé à cinq Oscar, il obtient celui du meilleur scénario original après avoir remporté son équivalent en Angleterre (le BAFA 2021) en plus du meilleur film britannique de l’année. On peut dire d’emblée que c’est le sujet, le viol d’une étudiante par ses camarades ivres et drogués, et l’engagement d’Emerald Fennell pour le dénoncer et confondre les responsables, qui lui ont valu ces récompenses, beaucoup plus que le traitement qu’elle en fait. Qu’une femme mette en scène une autre femme pour défendre une jeune femme violée qui en mourra, est une noble entreprise qu’on ne peut que louer et gratifier. L’étudiante abusée et martyrisée dans sa chair est Nina Fisher qui n’existe que dans quelques photos de son âme sœur Cassie (Caren Mulligan). Des bribes du tragique événement sont recueillies au fur et à mesure de l’avancée des plans échafaudés par Cassie pour châtier les coupables. Elle y prend sept ans pour parvenir à ses fins et encore, parce que sa vengeance est plutôt soft et sans grandes conséquences, sauf à la fin quand elle risque sa peau et la perd avant que le meurtrier Al (Alexander) Monroe (Chris Lowell) ne soit identifié par la police. Elle aurait pu s’inspirer avec Emerald Fennell de Julie Kohler (Jeanne Moreau) la mariée en noir de William Irish et François Truffaut. Sa molle vengeance est un plat qu’on mange congelé et après l’expiration de sa date de péremption. En effet, la mort de Nina a eu un impact dévastateur sur Cassie qui abandonne ses brillantes études de médecine (?!) pour travailler comme serveuse dans un Coffee Shop appartenant à Gail (Laverne Cox), une noire sympathique et truculente. À trente ans, Cassie n’a pas d’amis. Elle ne veut pas se marier et avoir des enfants. Elle vit avec ses parents qui ont accepté sa marginalité et son caractère particulier. Elle tient un calepin dans lequel elle marque ses journées et indique le nom de celui qu’elle compte traquer. Sa stratégie consiste à séduire le jeune homme, lui faire croire qu’elle est éméchée puis l’accompagner dans sa chambre pour se réveiller à la fin et s’en aller au moment où il était sur le point d’atteindre son objectif. Ce comportement de garce consommée lui procure un plaisir certain. Le hasard (il y en a pas mal dans le script) lui amène Ray Cooper (Bo Burnham) un des camarades de sa classe venu prendre un café. Le jeune homme est maintenant un chirurgien pour enfants. Il lui rappelle leur passé commun à Forest University. Il a encore quelques contacts avec le groupe des étudiants de la promotion dont Al Monroe revenu d’Angleterre pour se marier et son ami Joe et Jerry et Neil... Une idylle a lieu entre Ray et Cassie pour la grande joie des parents de cette dernière (Bo Burnham, grand de taille, doit se baisser et Caren Mulligan doit se lever sur la pointe des pieds pour s’embrasser). Cassie poursuit sa vengeance en invitant à déjeuner Madison McPhee (Alison Brie) au courant des faits qu’elle a minimisés à l’époque (des incidents pareils ont souvent lieu lorsqu’on est bourré). Elle la pousse à boire puis paye un homme pour la faire monter dans sa chambre. Elle se rend ensuite au campus de Forest où elle interpelle pour un renseignement une fille qui est (un autre hasard) celle de la doyenne Dean Walker. Interrogée, celle-ci n’a pris aucune mesure à l’égard des coupables faute de preuves, mais elle a tremblé lorsque Cassie lui a dit qu’elle a envoyé sa fille dans un club où des garçons boivent et se droguent. Comme d’habitude c’était une fausse information pour faire prendre conscience de l’horreur d’un viol par la doyenne. L’enquête de Cassie s’aggrave lorsque Madison rassurée par l’agissement de l’homme avec qui elle est montée (là aussi il y a eu plus peur que mal), lui déclare qu’elle a un enregistrement de ce qui s’est passé sur un portable (on a droit à un bout sonore sans rien montrer de la fameuse party). Cassie obtient de Ray qui figure dans la vidéo l’adresse de la fête d’adieu au célibat d’Al Monroe, puis s’y rend déguisée en infirmière sexy, et au lieu d’administrer un lavement aux machos présents, elle leur fait avaler une potion qui les endormit. Elle monte ensuite à l’étage avec Al Monroe, réussit à le menotter au lit, lui révèle son identité, et au lieu de le châtrer (elle en a les outils adéquats), elle entreprend de graver le nom de Nina sur son ventre. Le jeune homme se débat, se libère des menottes, étouffe Cassie avec un coussin, puis brûle son corps sur un bûcher (affreuse scène aussi incongrue que barbare) avec son ami Joe dans la forêt, avant de fêter son mariage le lendemain en présence de toute la clique. Toutefois l’impunité ne dure pas longtemps. Cassie avait envoyé à l’avocat repenti qui avait défendu les garçons et dont elle est sûre de la loyauté à présent, la vidéo compromettante et un petit mot explicatif, et à Ray des SMS préenregistrés dans lesquels elle lui explique qu’elle a tout prévu. La vérité éclate donc et Al Monroe est emmené par la police. L’histoire concoctée par Emerald Fennell convainc à moitié en dépit du suspense qu’elle a pu distiller et du climat inquiétant qui couvre les actions et les réactions de son héroïne. Il manque au film qui oscille entre le teen movie marqué par une musique, des chansons et une ambiance psychédélique appropriées, et le thriller à la manière de Brian de Palma et David Fincher, la vraisemblance et l’audace. Il reste après coup, le point de vue authentique des femmes sur le viol. Emerald Fennell montre distinctement que toutes les femmes ne sont pas du même avis que Cassie. À commencer par la mère de Nina qui la prie de tourner la page et de rentrer chez elle, pour son bien et celui de sa fille. Madison et la doyenne de l’université sont pratiquement du même avis. La première a demandé à Cassie de ne plus l’appeler et la seconde l’a prise pour une folle. Il reste de même l’écriture féminine particulière : une crudité du langage (est-ce ce qui a valu au film l’interdiction au moins de 17 ans aux États-Unis ou la scène du bûcher final ?) dans la bouche de ménagères éduquées et de cadres respectables. Ainsi Madison dit à Cassie lors de leur première rencontre que «statiquement les féministes sont plus favorables à la sodomie que tous les garçons veulent», et Gail a encouragé Cassie et Ray de passer à l’acte dans l’arrière-chambre du café. Cette libération par la parole ne se traduit pas toujours par les gestes adéquats. Cassie menace un des coupables de lui couper la bite avec des ciseaux sans plus (le jeune homme l’insulte et s’en va), et quand elle joue les durs à cuire (elle casse les phares et le pare-brise de la bagnole d’un chauffeur qui lui demande de dégager sa voiture du milieu de la route), elle n’est pas crédible ou la cinéaste a fantasmé la scène. La mort de Cassie qui rejoint Nina, sa moitié de pomme ou d’orange (qu’importe le fruit) et sa sœur adoptive qu’on aurait aimé voir ensemble, est une fin qui s’inscrit dans la conception fusionnelle de l’amitié féminine.
Joseph Korkmaz
PROMISING YOUNG WOMAN
Joseph Korkmaz